
Introduction
Il y a un an, durant la nuit des 15 et 16 avril 2019, la cathédrale de Notre Dame de Paris a brûlé. Ce désastre ayant provoqué de graves instabilités structurelles, les autorités ont condamné l’accès pédestre d’une grande partie de l’édifice. Afin de pouvoir effectuer les cartographies des dégâts, et même de finir de combattre l’incendie, des drones ont été déployés pour effectuer des missions de numérisation en toute sécurité.
Quelques jours après l’incendie, le département drones du groupe ATELIA a été mobilisé afin d’effectuer des relevés et cartographies de l’ensemble des dégâts. Ces relevés ont été réalisés dans l’urgence afin de numériser un état au plus proche de l’incendie, à l’intérieur, comme à l’extérieur.
Après une rapide présentation du site étudié, ainsi que des objectifs de mission, nous évoquerons les matériels et protocoles déployés dans le cadre de cette mission. Nous présenterons ensuite les résultats pour enfin discuter autour de ces derniers.
Présentation du site étudié

La cathédrale de Notre Dame de Paris, est localisée sur l’Ile de la Cité à paris (France). Sa construction s’est étendue sur deux siècles (XIIème – XIVè). C’est un ouvrage de type gothique dont les imposantes rosaces font parties des plus grandes d’Europe. Plusieurs rénovations et restaurations à travers les siècles ont été réalisées, notamment sur la flèche par Viollet-le-Duc au XIXè siècle.
Durant la fin de soirée du 15 avril 2019 et jusque dans la nuit du 16 avril, un violent incendie a touché l’ensemble de la toiture de l’édifice. Au lendemain de l’incendie la quasi-totalité de la charpente a disparu sous la violence de l’incendie. Plusieurs éléments de voute ont également été fortement endommagés, avec des effondrements localisés .
Objectifs de la mission, et avantage d’une intervention rapide
La mission avait pour but de numériser au plus proche de l’incendie, l’ensemble de l’ouvrage. Le but de cette numérisation était de pouvoir garder une mémoire du sinistre, ainsi que des dommages intérieurs et extérieurs, ainsi que de permettre aux enquêteurs de disposer d’images précises des zones non accessibles pour des raisons de sécurité.
Cette numérisation était d’autant plus importante que moins d’une semaine après le sinistre, à l’intérieur comme à l’extérieur le site a été rapidement anthropisé. On notera à l’intérieur des modifications dans l’agencement des chaises ou éléments de mobilier, ainsi que du début du dégagement des gravats. Un important filet de protection des chutes de débris a également été installé sur l’ensemble de la surface sous voûte. A l’extérieur, l’ensemble de l’ouvrage a été bâché afin de limiter les intrusions d’eau, et protéger la voûte mise à nue par l’incendie. Cette protection était importante car des intempéries étaient annoncées et prévues dans les semaines après l’incendie. Egalement, l’ensemble des vitraux ont rapidement été désassemblés. Un important renforcement structurel a aussi été mis en place.
Quelques semaines après l’incendie le site ne ressemblait déjà plus au site tel qui était lors de l’intervention des équipes d’ARTEDRONES. Le temps a donc confirmé que l’intervention à J+5 de l’incendie était fondamentale.
Matériels et protocoles déployés
Pour pouvoir numériser un maximum d’éléments, plusieurs outils et protocoles ont été déployés dans le cadre de cette mission.
Nous verrons d’abord l’ensemble des moyens aéroportés déployés, puis ensuite les méthodes de post-traitements employées. Un protocole spécifique a été instauré afin de sauvegarder l’ensemble des données produites. En effet, après chaque survol en drone, toutes les cartes de stockage des données étaient systématiquement vidées et dupliquées (sur plusieurs supports de sauvegarde). De cette manière en cas de crash de l’aéronef, seules les données du dernier vol auraient été perdues. Cette précaution était de rigueur, en effet, cinq jours après le sinistre, des morceaux de voute continuaient de se décrocher. Le risque de prise d’un débris par le drone était non négligeable.
Les moyen d’acquisitions aéroportés
Trois différents capteurs ont été embarqués sur des drones télépilotés légers. Les premiers capteurs ont permis d’acquérir des données dans le domaine du visible afin de cartographier et numériser les dégâts intérieurs et extérieurs pour surfaces, verticales et horizontales. Le second type de capteur a permis d’effectuer des levées de doutes quant à des éventuelles reprises de feu (feu couvant).
La numérisation aéroportée des dégâts des sols intérieurs et de la voute extérieure ont été effectués à l’aide d’un drone quadcoptère DJI phantom 4 pro RTK. Ce dernier bénéficiait au moment des survols des dernières technologies de positionnement avec des algorithmes de stabilisation revus. Le survol en intérieur n’a pas posé de problème particulier et a été réalisé de jour, manuellement, avec un taux de recouvrement (effet parallaxe) de presque 90/80. Un angle de prise de vue était également systématiquement appliqué au capteur, afin d’être le plus en adéquation possible avec la surface à numériser. Le géoréférencement des données intérieures a été réalisé en utilisant les points communs relevés avec les acquisitions extérieures. Cette tâche a été facilitée car la voute s’était effondrée à plusieurs endroits.
La numérisation aéroportée des dégâts de la voute intérieure a été réalisée au drone DJI Matrice 210 avec nacelle négative équipée d’une caméra X5S. Un recouvrement de 80/70 a été appliqué. L’angle de la caméra a lui aussi été adapté à l’angle de la surface en cours de numérisation. Cet angle était fondamental pour pouvoir acquérir les données des bords de voute.
L’ensemble de l’enveloppe extérieure a été effectuée en effectuant un vol multi angulaire, combinant des acquisitions au nadir, ainsi que des acquisitions à angle vertical. Le vecteur utilisé était le Phantom 4 pro RTK. L’acquisition extérieure au nadir a été effectuée à l’aide de l’application de programmation et de préparation de vols automatisées DJI Ground Station. C’est l’application par défaut livrée avec l’aéronef. L’ile de la Cité n’étant pas en zone de vol restreinte par le constructeur, il n’a pas été nécessaire d’effectuer une demande de déblocage. Les paramètres de recouvrement étaient alors de 80/80.
En même temps qu’un contrôle bi-journalier effectué par la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, un survol à l’aide d’un drone bicapteur (RGB- thermique) a été réalisé. Ce survol a permis d’apporter très rapidement aux sapeurs-pompiers des éléments pour la levée de doutes sur des éventuelles reprises d’incendie par feu couvant. Le vecteur utilisé était un DJI Mavic Pro Enterprise dual. Ce survol n’a pas nécessité de programmation de plan de vol, simplement d’une élévation au-dessus de zones inaccessibles à pied ou des deux beffrois.

Afin de pouvoir comprendre la localisation spatiale du site, ainsi que des éléments endommagés, plusieurs acquisitions 360 ont été réalisées. Assemblées ensembles, ces dernières avaient pour but de réaliser une visite virtuelle de l’ensemble de l’ouvrage. Les acquisitions 360 ont été réalisées d’une façon aéroportée en utilisant le Phantom 4 pro RTK en intérieur et le Phantom 4 pro+ en extérieur. Les acquisitions intérieures ont été effectuées en déclenchement manuel, alors que les acquisitions extérieures étaient gérées d’une façon automatique par l’application livrée avec le drone. Plus de 300 acquisitions 360 ont été réalisées afin de couvrir l’ensemble de l’ouvrage intérieur, comme extérieur. Afin de réaliser un 360 le drone est programmé ou piloté, pour effectuer entre 20 et 30 photographies avec recouvrement minimum de 50/60, autour d’un point central. L’ensemble des photographies sont ensuite assemblées pour obtenir une seule et unique image.
Les matériels et équipements au sol
Au préalable du survol, des points de contrôles ont été disposés sur le parvis et les abords autour de l’édifice. Ces points de contrôles et de géoréférencement ont été relevés au GPS différentiel (Trimble GEO 6000), centimétrique. Un point de fermeture avec le réseau de nivellement IGN (PCL3 – 159) a été effectué pour garantir la précision globale des relevés.
En fin de mission, Des zones n’ont pas pu être numérisées au drone. Pour garantir une captation de données 360 homogènes, ainsi que d’un nuage de points succins dans les coursives, un scanner combiné (laser, infra-rouge et photogrammétrique RGB) a été déployé par une équipe dédiée.
Les post-traitements déployés
Les données topographiques acquises sur le parvis de la cathédrale ont été post-traitées à l’aide du logiciel Trimble Pathfinder office. Les stations référentielles utilisées pour effectuer les corrections différentielles sont les stations de St Mandé (IGN SMNE) et Carrières–Sur-Seine(SBGS). Les données ont été post-traitées sur le code et la porteuse, en exploitant les constellations GNSS GPS et GLONASS.
Les données aéroportées (images), ont été traitées à l’aide de deux logiciels : Agisoft Metashape (données géoréférencées), et DJI Terra (modèle 3D général local). La chaîne de traitements stéréo-photogrammétriques appliquée et relativement standard (Alignement des caméras en ultra haute résolution, construction d’un nuage dense, puis calculs des Modèle Numériques et ortho-images associées). Les données extérieures ont été géoréférencées par l’utilisation des points de géoréférencements déployés avant les survols. Les données intérieures ont été géoréférencées en utilisant des points communs visibles à travers la voute effondrée, à partir des données extérieures.
Les photographies 360 ont été assemblées et réalisées à l’aide du logiciel Microsoft Image Composite Editor (ICE). Ce logiciel permet par reconnaissance stéréo-photogrammétrique de détecter des pixels identiques entre photographies (avec recouvrement), pour créer ensuite une mosaïque 360. Un travail propre à chaque panorama est ensuite réalisé afin d’appliquer un ratio entre la hauteur et la largeur de ½. Les zones dont la déformation est trop importante sont masquées uniformément par l’utilisation de logos 360 « ARTEDRONES ». L’ensemble des données 360 ont par la suite été intégrées sur dans un visualisateur 360 web « Marzipano ». Ce dernier permet de tuiler les importantes données raster 360 et d’y interface une interface graphique. Ce visualisateur permet également de gérer les options de déplacement d’un panorama à un autre.
L’ensemble des données raster produites ont été tuilées en dalles de 512 x 512 px en format Google Maps. Ce traitement permet pour la livraison finale des données d’exporter ces dernières sur Web-SIG. Un traitement a également été réalisé pour les nuages de points. Ces derniers ont été tuilés et compressés pour un affichage dynamique tuilé.
Résultats
Les données et résultats ont été mis à la disposition de l’instruction via un outil web en ligne sécurisé permettant une navigation fluide sans logiciel métier spécialisé sur les postes des enquêteurs. Une formation a été dispensée aux magistrats instructeurs sur l’emploi de l’outil. Pour des raisons évidentes de procédure, l’ensemble des images et données sont couverts par le secret de l’instruction et il ne nous est donc pas possible de les diffuser.
Discussion
Malgré la rapidité de déploiement des équipes sur le terrain une partie de la voûte extérieure (pignon Nord) n’a pas pu être correctement cartographiée car très rapidement recouverte d’une plateforme de renforcement de structure. On notera également que pour des raisons pratiques, le drone n’a pas complètement numérisé les collatéraux autour de la nef ni le déambulatoire. Un déploiement dans cette zone aurait causé trop de mise en suspension de cendres accumulées sur le sol. Egalement, la trop faible luminosité aurait posé des problèmes quant à la reconstruction 3D de ces données. Un autre outil (non drone), un scan 3D stéréo-photogrammétrique a donc été déployé en urgence afin d’effectuer des acquisitions 360 combinées dans les zones à très faible luminosité. Sans l’utilisation de ce scan, l’ensemble des collatéraux et du déambulatoire n’aurait pas pu être numérisé. Phénomène également intéressant, la toiture extérieure en plomb des deux beffrois a été très mal reconstituée par les logiciels stéréo-photogrammétriques. Après différents contrôles, ce problème vient la trop grande différence de hauteur entre le sommet des deux beffrois, la voûte et le sol. Le recouvrement s’est avéré en réalité insuffisant pour obtenir toute reconstruction de cette partie de l’édifice. Face au peu d’intérêt que présente cette zone pour les enquêteurs, ce manque d’information n’apparaît pas comme préjudiciable. Les photographies aériennes sources permettent néanmoins de documenter ces secteurs.
Conclusions
L’intérêt de déployer rapidement des drones après un incendie semble désormais fondamental. Les capacités, et possibilités de déploiement de ces outils permettent d’intervenir très rapidement et de numériser efficacement le site d’un sinistre en toute sécurité. De plus, l’ensemble des données qui peuvent être produites apparaissent comme des éléments importants pour les enquêtes. Ces dernières permettent de visualiser efficacement un site sinistré, et de pouvoir s’y déplacer virtuellement à postériori.

Au-delà du cas emblématique de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le même outil est très utile dans tous les cas où se pose au moins l’une des difficultés suivantes :
- Il importe de figer très rapidement un point zéro après un incendie ;
- Les conditions d’accès en sécurité ne sont pas réunies ;
- Un repérage précis des positions des divers éléments de la scène est utile ;
- L’étendue des lieux sinistrés est grande, ne permettant pas de les couvrir par un petit nombre de photos prises à pied ;
- La complexité du sinistre fait que les enquêteurs auront besoin de réaliser plusieurs visites virtuelles avant de déterminer avec précision les points d’intérêt particuliers.
A titre d’exemple, tout incendie de monument historique bien sûr, mais aussi les feux d’entrepôts et d’immeubles ayant connu une ruine partielle ou totale sont des cas majeurs d’emploi des drones pour les enquêteurs post-incendie.
Benoît GUILLOT, ARTELIA / Départemennt ARTEDRONES
Pierre CARLOTTI, ARTELIA